ماي 2021
مسألة الاعتراف بالسيادة الفلسطينية أمر لا مفر منه…
Le Monde Mardi 18 mai 2021
La question de la reconnaissance de la souveraineté palestinienne est incontournable
Agnès Levallois
Malgré les efforts de l’ex-président Donald Trump et de Benjamin Nétanyahou pour une normalisation des relations avec les pays du Golfe en marginalisant le conflit israélo-palestinien, celui-ci reste central, souligne la spécialiste du Moyen-Orient
La nouvelle flambée de violence à Jérusalem et la reprise des affrontements entre le Hamas et l’armée israélienne nous rappellent que le conflit israélo-palestinien est toujours présent, en dépit de l’idée selon laquelle il avait disparu et avait perdu de sa centralité. Lors des soulèvements en 2011, l’affirmation selon laquelle la question palestinienne n’intéressait plus personne était très souvent avancée, les nombreuses erreurs commises par l’Autorité l’ayant durablement discréditée. Il ne s’agit pas ici de revenir sur ce dernier point, mais de comprendre en quoi ce conflit non réglé ne peut que resurgir régulièrement. Il suffit d’une étincelle pour que la situation s’embrase à nouveau.
Tout a commencé lorsque les forces de sécurité israéliennes ont empêché des jeunes Palestiniens de Jérusalem-Est de se réunir sur l’esplanade devant la porte de Damas, alors que, quelques jours auparavant, des membres du mouvement Lehava (« flamme » en hébreu), rassemblant quelques milliers de militants racistes et violents, avaient manifesté aux cris de « Mort aux Arabes ». Les ratonnades à Jérusalem s’inspirent du mouvement Kach du rabbin Meir Kahane, qui a été interdit en Israël en 1994 et dont l’un des disciples, Itamar Ben-Gvir, a été élu et a fait son entrée au Parlement lors des dernières élections, en mars. S’est ajoutée la menace d’expulsion qui vise les habitants du quartier palestinien de Cheikh Jarrah, situé à Jérusalem-Est, au profit de colons israéliens, car la stratégie des gouvernements de droite et d’extrême droite successifs vise progressivement à ce qu’il y ait toujours moins de Palestiniens à Jérusalem-Est. L’étincelle des tensions actuelles est partie aussi de l’organisation de la « Journée de Jérusalem », qui célèbre tous les ans la réunification de la ville, annexée en 1967 et déclarée capitale « indivisible et réunifiée » de l’Etat d’Israël en 1980.
Le « deal du siècle » remis en question
La centralité de ce conflit a été remise en question par la politique menée par Donald Trump, qui a voulu le marginaliser en accordant aux Israéliens un blanc-seing pour « gérer » ce conflit en proposant son « deal du siècle », qui balaie les revendications nationales des Palestiniens, dont celles concernant Jérusalem. L’absence de réaction dans les territoires palestiniens à l’issue de l’annonce de ce plan et dans les pays arabes a renforcé l’idée que les Palestiniens ne bénéficiaient plus d’aucun soutien, et qu’ils n’avaient d’autre choix que de se plier à la volonté israélo-américaine.
Cette vision était évidemment biaisée, car non seulement elle démontrait un certain cynisme de la part de ses promoteurs, elle foulait un peu plus le droit international déjà malmené dans cette partie du monde, mais elle s’inscrivait dans un moment où les populations des pays de la région étaient préoccupées par leurs difficiles conditions de vie – Tunisie, Egypte, Maroc, Jordanie – ou vivaient dans un état en guerre – Syrie, Libye, Yémen.
Quant aux pays du Golfe, ils avaient les yeux tournés vers l’Iran, en raison du danger que représente ce pays pour eux, et ils se réjouissaient de la décision de Washington de se retirer de l’accord sur le nucléaire et de l’imposition de nouvelles sanctions économiques afin d’affaiblir un peu plus Téhéran. Donald Trump a ainsi obtenu que les Emirats arabes unis (EAU) et Bahreïn normalisent leurs relations avec Israël, ce qui donnait de la crédibilité à son « deal du siècle ». Le Maroc a obtenu en échange la reconnaissance par Washington de sa souveraineté sur le Sahara occidental, et le Soudan d’être retiré de la liste noire des Etats soutenant le terrorisme. Enfin, ces annonces sont intervenues alors que la pandémie sévissait et que, de ce fait, les rassemblements étaient interdits.
Des « aménagements » limités
Mais la flambée de violence à laquelle nous assistons va-t-elle remettre en question ce processus ? Et de quelle marge de manœuvre disposent les pays qui se sont engagés dans cette voie ? Il convient de dissocier les réactions des sociétés de celles des pouvoirs en place. L’opinion publique à Bahreïn et aux EAU est insignifiante, car le nombre d’habitants – les nationaux – est faible, et ils sont plus préoccupés par la menace que représente l’Iran que par le sort des Palestiniens. Le cas de figure est différent au Maroc, où le gouvernement est en difficulté car il est dirigé par un parti islamiste qui peut difficilement se désintéresser du sort de Jérusalem, d’autant que le roi, Mohamed VI, est président du comité Al-Qods (nom arabe de Jérusalem), chargé de veiller sur les lieux saints musulmans de la ville. Des rassemblements de soutien au peuple palestinien se sont déroulés dans le royaume, qui ont été interdits et réprimés.
La question qui se pose maintenant pour ces pays, et tout particulièrement les pays du Golfe, est de savoir ce qu’ils ont gagné à cette normalisation, qui était un remerciement à la politique de « pression maximale » de Donald Trump vis-à-vis de leur ennemi iranien. Le nouveau président américain désirant la réintégration de Téhéran dans l’accord sur le nucléaire, cet avantage est remis en question, et Riyad a commencé des négociations avec Téhéran afin de faire baisser la tension dans le Golfe. Le processus de normalisation risque d’être ralenti avec d’autres candidats éventuels. Le roi Salman d’Arabie saoudite, qui a tempéré les velléités de son fils Mohammed Ben Salman, le prince héritier, à emboîter le pas de son homologue émirati, devrait rester sur cette ligne, conscient que la société saoudienne soutient dans sa majorité la cause palestinienne.
Le changement de paradigme souhaité par Washington et Tel-Aviv est remis en cause et, tant que la question centrale, la reconnaissance de la souveraineté palestinienne, ne sera pas réglée, les « aménagements » tels que la normalisation resteront limités et, plus grave, le conflit israélo-palestinien reviendra régulièrement sur le devant de la scène, avec sa litanie de drames et de souffrances.
Agnès Levallois est maîtresse de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient